jeudi 12 mars 2015

Séquence # 7 - The Devil Rides Out - Bataille dans un salon



NARRATION

Avant la séquence

Angleterre, 1929 – Le duc Nicholas de Richleau fait appel à son ami Rex Van Ryn afin de résoudre une affaire concernant Simon Aron, leur meilleur camarade et le protégé de Richleau depuis que Simon est orphelin. Ce dernier, depuis un certain temps, se comporte en effet de manière étrange. Il est fuyant, évite de donner des nouvelles, et s’est trouvé un nouveau cercle de relations qu’il invite régulièrement dans son château.


Nicholas et Rex, apprenant que leur ami organise justement une réception dans la soirée, en profitent pour s’inviter sans prévenir. Leur arrivée dans la salle de réception provoque la surprise ainsi que la gêne de Simon. Celui-ci leur fait croire qu’il a rejoint un club de passionnés d’astronomie. Mais Nicholas, pris de doutes, mène des investigations et découvre qu’en réalité son camarade est tombé sous la coupe d’une secte d’occultistes dont le chef, Mocata, s’avère être un puissant sorcier pratiquant la magie noire.


Mocata prépare un sabbat pour la prochaine nuit de Walpurgis. En cette occasion, il compte appeler le démon Baphomet ; et pour cela, il lui faut sacrifier deux initiés. L’un d’entre eux est une jeune femme, Tanith, l’autre est Simon Aron.

Rex Van Ryn et le duc de Richleau sont parvenus à libérer Simon et Tanith. De plus, ils ont fait échouer l’invocation. À présent, ils doivent trouver un refuge avant de subir les représailles de Mocata. Nicholas se rend au manoir des Eaton, où vivent sa nièce Marie et le mari de celle-ci, Richard (ainsi que leur petite fille Peggy). Tandis que Simon reste sous la protection de Richleau, Rex a été chargé de cacher Tanith dans une cabane abandonnée dans les bois. La jeune femme a été ligotée afin qu’elle ne tombe pas sous l’emprise de Mocata.


La séquence

Adepte de la magie blanche, Nicholas a dessiné un cercle de protection dans le salon, et disposé divers accessoires comme un récipient contenant de l’eau bénite ainsi que plusieurs chandeliers. Tout ceci est destiné à protéger le groupe contre les sortilèges de Mocata durant la nuit.

Marie, Richard, Simon et le Duc de Richleau pénètrent à l’intérieur du cercle. Tous les quatre s’allongent sur le dos, tête contre tête, de façon à former une croix. Ils ne savent pas qu’au-dehors, Mocata est parvenu à hypnotiser Rex par le biais des yeux de Tanith. Rex a défait les liens de la jeune femme avant de tomber inconscient. Tanith s’est enfuie dans la forêt.


Au manoir des Eaton, Richard montre des signes de scepticisme, il ne croit pas en la sorcellerie. Toutefois, le groupe devant absolument rester soudé, Nicholas parvient à le convaincre de rester à l’intérieur du cercle.

Bientôt, les premiers signes d’une présence maléfique se font sentir. L’eau qui se trouvait dans un pichet a un goût exécrable, les lumières du salon commencent à faiblir tandis que les flammes des bougies vacillent. La température se met à baisser, des bourrasques pénètrent de manière irrationnelle dans la pièce.
Ensuite… plus rien ; le cercle a protégé le groupe. Nicholas se relève, rallume les bougies.


Mais le répit est bref. Mocata attaque de plus belle, et ses sortilèges montent en puissance. Sa magie, à bases d’illusions, a pour but de tromper ses adversaires, de les pousser à la faute, et surtout à commettre une erreur fatale. D’abord, il leur fait croire que Rex est revenu. Le son de sa voix se fait entendre derrière la porte, les suppliant de venir lui ouvrir. Puis c’est une araignée géante qui se matérialise, tournant autour du cercle qu’elle ne peut franchir. Mocata fait croire à ses ennemis que la petite Peggy a ouvert la porte où se trouvent les quatre occupants. L’araignée s’apprête à attaquer la fillette. Les parents de Peggy, horrifiés, sont sur le point de sortir du cercle de protection pour lui venir en aide. Fort heureusement, Nicholas arrive à les en dissuader. Il jette de l’eau bénite sur l’image projetée de Peggy qui s’évanouit alors. Cette même eau bénite détruit également l’araignée.


Après avoir tenté en vain de posséder Simon, Mocata abat ses dernières cartes, utilisant son sortilège le plus puissant, le plus dangereux aussi. Il envoie un ange de la mort dans le salon où le quatuor est toujours retranché. Regarder l’ange dans les yeux entraîne une mort certaine, et le seul moyen de le vaincre consiste à proférer une incantation pouvant mettre en danger celui qui l’utilise. Malgré le danger encouru, le duc de Richleau prononce à voix haute la formule qui renvoie l’ange de la mort en enfer.

Le jour se lève, Mocata est vaincu, mais il n’a pas encore renoncé…

MÉCANISMES

Ce qui frappe d’entrée de jeu est la grande nervosité du film de Terence Fisher. Le métrage multiplie les évènements, l’exposition est rapide, le rythme est trépidant. Le tout culmine au début du troisième tiers avec l’affrontement tactique contre les forces obscures, un remarquable morceau d’angoisse. Le plus notable dans son traitement est que le combat épique qui va opposer les forces du bien et du mal se déroule dans des zones exiguës et se pratique d’une façon biaisée. La bataille psychologique, extrêmement tendue, va se concentrer dans une simple pièce. C’est une leçon de maître !


La séquence commence en présentant deux lieux en parallèle, la grange et le salon, pour se focaliser sur le second. Dans le premier, le couple et dans le deuxième, un groupe de quatre individus entouré d’un cercle blanc sur le parquet. Ce combat « dans un mouchoir de poche » ne peut être physique, c’est donc l’esprit qui va être soumis à de vives tensions graduelles et inattendues. La grande idée du film est d’être à ce moment lancé sur une ligne ténue entre ce qui est montré et ce qui est imaginé par les personnages et le spectateur.

Suggestion et démonstration

Ainsi la possession mentale de Tanith se lit sur ses yeux en gros plan sans aucun effet spécial. Mais Fisher sait qu’il ne peut jouer cette corde tout du long au risque de frustrer son spectateur. La suggestion n’a qu’un temps, il faut ouvrir la porte aux images épouvantables.

La carte de l’ésotérisme est donc placée sur le tapis avant même la partie, par le cercle tracé et les préparations pour l’affrontement à venir. Il y a deux aspects dans les attaques magiques. L’un est élémentaire, au sens figuratif d’éléments principaux constitutionnels de la matière, l’autre est cristallisé dans les démonstrations de force. Fisher va nous stresser avec l'aide de symboles puissants.
 

Pour le premier niveau, la fumée, l’eau, le vent sont sous l’emprise de Mocata. Le danger est indirect. Le vent remue les feuilles puis éteint les bougies, le feu dans l’âtre s’anime. Le symbolisme magique est présent en permanence. Par exemple, les quatre personnes couchées sur le parquet forment une croix. L’attente s’écoule en temps réel. L’espace-temps est réduit à une simple expression. La tension se fait lourde, puisque l’ennemi est partout et nulle part. Il est retors et invisible quand les victimes sont soumises à la possession mentale. Toute chose semble avoir une aura négative, autant pour les personnages que pour le spectateur, placé à la même enseigne paranoïaque.

Pour le deuxième, l’attaque est directe. Le danger supposé physique de l’araignée joue sur la phobie envers l’insecte, puis vient la peur pour une petite fille. L’enfant n’est en réalité pas présent, mais Mocata table sur le doute et les angoisses ataviques. Ce qui compte, c’est que les victimes du sort craignent pour Peggy et brisent le cercle de protection. Il s’agit de les faire craquer.

Les illusions paraissent réelles et semblent concrétiser des épouvantes abstraites. Les effets optiques n’ont pas vieilli dans le sens que leur rendu colle avec l’idée que l’on se fait d’une apparition magique, depuis le grand Méliès.

Le tout culmine avec l’assaut final, plein de bruit et de fureur avec la crainte la plus basique de l’homme, sa propre extinction. Bien plus qu’une image d’Épinal, il s’agit de la représentation la plus pure d’un concept. L’usage de la parole la fera disparaître. La magie est le verbe qui se réalise.


Deux pôles opposés qui s'affrontent

Aussi étonnant que cela puisse paraître, il s’agit ici d’un duel qui a l’essence du western. Sauf que l’un des deux pistoleros vide son barillet magique et l’autre évite les balles, pour ainsi dire ! Lee est aux aguets, les sens aiguisés, le regard scrutant les environs. C’est un pilier défenseur de tous ses compagnons.

Deux comédiens dotés de charismes monstrueux s’affrontent, Lee et Gray. Autrement dit, Scaramanga contre Blofeld ! Alors que Van Helsing était souvent grâce à l’acteur Peter Cushing d'une nature compatissante, il est étonnant de voir le meilleur interprète de Dracula, habitué aux rôles de vilains, être du bon côté de la barrière. Là où un autre scénariste aurait pu critiquer l’usage de la magie, ici, Richard Matheson (est-il besoin de présenter ce génie de l’écriture ?) nous la montre comme un outil qui est déterminé par l'initié. La meilleure trouvaille est que Mocata n’est jamais visible, mais son pouvoir est éclatant, chaque partie du décor étant vouée à couler le frêle esquif ballotté dans une tempête allégorique.
 

Le duc ne parvient à l’emporter que par sa détermination inflexible. La volonté est bien le maître mot de la séquence, la force physique n’y sert à rien, seules comptent la connaissance des secrets et une vigilance de tous les instants. Le cadre montre la désunion qui avance. Si, au début ils sont unis, chacun semble s'éloigner puis se réunir de nouveau, Richleau faisant barrage au premier plan. Il reconquiert l'espace.

Dans la série des Dracula, il est clairement démontré que le saigneur en chef et ses séides sont des agents sataniques organisant des rites impies (Taste the Blood of Dracula, The Satanic Rites of Dracula). Fisher abandonne dans The Devil Rides Out cette dichotomie des moyens entre le bien (les gens de bonne volonté et qui suivent la voie de l'église) et le versant maléfique. La différence fondamentale tient dans le fait que les deux hommes qui maîtrisent des arts obscurs le font pour des motifs voués à se combattre. Un principe actif s’opposant à un contraire. L’un n’ayant aucune limite pour asseoir son pouvoir, l’autre pour secourir les innocents. La magie est vue ici comme l’extension mentale de ces deux pôles : le cruel contre le guide.

Ce mécanisme simple fonctionnera toujours dans une narration. Deux absolus s’affrontent, le mauvais étant présenté comme plus fort que le bon. Celui-ci ne gagnant que de justesse. À l’issue, le bien a triomphé, même si la conclusion est amère. Les batailles ont toujours un prix.



FICHE TECHNIQUE

The Devil Rides Out (1968) – Réalisation : Terence Fisher – Scénario : Richard Matheson (d’après l’ouvrage de Dennis Wheatley) – Avec : Christopher Lee, Charles Gray, Leon Greene, Nike Arrighi, Patrick Mower...
Phillipe Chouvel & Nathan Skars

mardi 3 mars 2015

Séquence # 6 - The Omen - Demain, les chiens


 Ce texte dévoile de nombreux nœuds de l'intrigue, vous voilà prévenus !

NARRATION

Avant la séquence

Diplomate éminent, Robert Thorn vit avec sa femme Katherine à Rome, à l'ambassade des États-Unis. Le 6 juin 1970, à 6 heures, Katherine accouche d'un enfant mort né dans une clinique d'obédience catholique. Effondré, Thorn n'a pas le courage d'annoncer la nouvelle à son épouse. Le prêtre responsable de l'établissement lui propose alors d'adopter un autre nouveau-né, dont la mère vient juste de décéder. La femme en question ne laissant ni mari, ni parents, le bébé se retrouve orphelin. L'ambassadeur accepte la proposition, prenant soin de cacher la vérité à Katherine. L'enfant est appelé Damien.


Le temps passe, Robert Thorn a obtenu une promotion et est nommé à Londres. La famille emménage dans une luxueuse propriété. A l'approche de ses cinq années, Damien apparaît de moins en moins comme un enfant ordinaire. Des événements étranges surviennent, ainsi que des morts inexplicables dans l'entourage des Thorn. Jennings, un photographe, mène une enquête personnelle après le suicide de la baby-sitter de Damien puis le décès d'un prêtre qui cherchait à faire comprendre à Thorn que son fils constituait une menace pour le monde entier.

Les investigations de Jennings l'ont conduit à se rendre, en compagnie de Robert Thorn, dans la nécropole étrusque de Cerveteri, à une quarantaine de kilomètres au nord-ouest de Rome. C'est dans ce vieux cimetière en ruines que le diplomate américain espère découvrir les secrets concernant son fils mort-né et la véritable mère de Damien.


La séquence

Les deux hommes arrivent de nuit. L'endroit est totalement désert. Ils sortent du véhicule, en silence. Jennings porte un appareil photo en bandoulière. Les voilà devant les grilles de l'ancienne nécropole. Ils ne parviennent pas à détacher les chaînes retenant les portes d'entrée, et sont donc obligés de se hisser par-dessus les grilles qui se terminent par des pointes acérées. Après cette brève mais délicate escalade, le duo se retrouve enfin dans l'enceinte du cimetière. Thorn et le photographe descendent les quelques marches d'un escalier taillé dans la pierre pour se retrouver au cœur du cimetière. La végétation semble avoir recouvert la plupart des tombes, ce qui les oblige à enlever la verdure masquant d'éventuelles inscriptions sur les stèles. Seuls le vent et le chant de quelques grillons accompagnent leurs mouvements.

Jennings est le premier à trouver les tombes. Les inscriptions sont en latin. Sur la première, il est écrit : Maria Scianna – décédée le 6 juin 1970. Thorn et Jennings soulèvent avec peine la plaque en pierre, pour y découvrir ce qu'ils n'auraient jamais osé croire : le squelette enfoui dans la tombe est celui d'un chacal !


Cette terrible vérité porte un coup tant au diplomate qu'au journaliste, ce dernier proposant alors à Thorn de quitter les lieux. L'endroit est malsain et Jennings sent la venue imminente d'un danger. Mais pour Thorn, il est hors de question de partir tant que la tombe du petit garçon mort-né n'aura pas été ouverte. Sur la stèle, en plus de la  date de décès, a été rajoutée cette phrase : Dans la naissance et dans la mort, les générations se rejoignent.

Le diplomate est impatient de savoir ce qu'il y a dans la petite tombe. Va-t-il y trouver les ossements d'un animal, comme dans la première ? Cela signifierait que son fils est peut-être encore en vie. Mais la vérité va s'avérer terriblement cruelle. Non seulement il s'agit bien du squelette d'un nouveau né, mais en plus son crâne est brisé à un endroit. Ils ont tué mon fils, constate Thorn, emporté par le chagrin et la colère.


C'est alors qu'ILS apparaissent. « Ils », ce sont des chiens semblant tout droit sortis des enfers ; une meute de rottweilers particulièrement menaçants. Les deux hommes comprennent immédiatement que l'adversaire leur est supérieur, la seule solution reste donc la fuite. Plus forts et plus nombreux, les chiens se ruent sur Thorn et Jennings. Malgré tout, ces derniers parviennent à se frayer un chemin jusqu'aux grilles. Thorn, en premier lieu, qui s'empale au niveau d'un bras sur l'une des pointes acérées. Puis, Jennings, qui au bout d'un effort considérable, parvient à se libérer des chiens qui tentaient de le retenir par les jambes. Le photographe vient en aide au diplomate ; tous deux regagnent leur véhicule, épuisés, blessés... mais en vie.

Pour combien de temps ?

MÉCANISMES

Au fil des articles, sans prétendre à l'exhaustivité, nous allons beaucoup parler de la peur sous bien des formes. Logique. Et s'il y a une peur dont on pourrait se moquer mais qui reste pourtant toujours enracinée quelque part dans notre esprit rationnel, c'est bien celle du domaine diabolique. Il fallait nécessairement y venir et nous y reviendrons. La Malédiction ouvre le bal. 

Au moyen-âge, il y avait une terreur bien plus forte que la mort, c'était celle de la corruption par le malin. Après le chamboulement total qui parcourt l'occident depuis la fin des années soixante, cette mentalité n'a eu alors aucun sens pour beaucoup d'entre nous. La psychanalyse est couramment admise et pratiquée, le matérialisme affiche un règne presque sans partage et pourtant Rosemary's Baby (1968) de Roman Polanski et L'Exorciste (1973) de William Friedkin remuent les foules (*). La grand tour de force des bons films d'épouvante est de gratter le vernis en dévoilant ce qui ne nous a jamais quitté, notre angoisse devant l'impuissance face au mal dans ce qu'il a de plus radical. Et quelle incarnation plus indiscutable de ce concept que celle de l’Antéchrist ?


L'Exorciste, donc. Sur ses brisées, sort en 1976 The Omen de Richard Donner. Une réussite artistique et commerciale telle qu'elle aboutira en une trilogie fascinante, et disons le mot, shakespearienne (surtout dans son troisième acte, Damien étant un synonyme de Richard III dans cet opus). La grande intelligence de l’œuvre étant de minimiser au maximum les actes de son enfant maléfique et de rendre crédible les manifestations démoniaques. Contrairement à Friedkin qui n'hésitait pas à jouer cartes sur table, The Omen semble souvent très mesuré en comparaison, malgré ses spectaculaires et mémorables "accidents".


La séquence qui nous occupe change radicalement la donne de l'action - relativement - crédible et bifurque dans d'étranges contrées. Elle s'enfonce dans le gothique excessif, étant à la fois fantasmatique (le cadre) et sordide (la double révélation). Un cap peu facile à maîtriser et pourtant Donner le tient avec brio. Mis à part les vêtements des protagonistes, cette parenthèse pourrait ainsi surgir d'un film du studio britannique Hammer datant de deux décennies auparavant. On pense assurément au superbe Chien des Baskerville de Terence Fisher (1959). Brume épaisse, nuit, ciel de mauvaise augure, cimetière délabré, grilles, apparition quasi surnaturelle ; n'en jetez plus, tout y est !


Ce qui pourrait, déjà pour les spectateurs de 1976, paraitre comme du folklore daté ne l'est pas à cause de l'immersion complète dans un univers usité ailleurs mais inattendu ici, la menace qui suinte du cadre avant d'éclater et la macabre découverte, crûe et choquante. Et pourtant, les deux révélations abjectes - dont on ne sait laquelle est la pire - pourraient être la chute d'un conte horrible du  XIXe siècle qu'aurait sans doute affectionné un Edgar Allan Poe. Même le terme "malédiction" revêt d'un sens particulièrement séculaire qui hanta l'auteur. 

Toutefois, la malédiction familiale que pouvait décrire Poe dans ces récits, est, mondialisation oblige, réservée maintenant à toute l'humanité. Le microcosme est désormais lié au macrocosme dans un déclin inévitable jusqu'à "L'Oméga", le grand baisser du rideau, ce qui nous rapproche plus de H.P. Lovecraft que de l'écrivain du Corbeau, au final. Comme l'indique d'entrée l'accroche de l'affiche française du film : "Chaque heure chaque jour vous rapprochent de la fin du monde". Rarement aura-t-on connu une "tagline" aussi anxiogène, n'est-il pas ?


Passé le choc psychologique point la proximité physique du danger. La référence à une autre inquiétude ancrée en nous est alors évidente. Il s'agit de celle de la bête nocturne, du loup qui vient en meute pour nous traquer. Les premiers plans de l'attaque sont manifestes à cet égard, montrant tour à tour les molosses comme les maîtres du territoire, les présentent comme dominant les proies et les encerclant. Jennings est presque terrassé. Le chien, de meilleur ami de l'homme, devient son prédateur privilégié. Si cela ne suffisait pas, il est agent d'une force cosmique. Les deux personnages civilisés, évolués, du 20e siècle échappent à la bête (qui est toujours plus qu'une simple créature naturelle dans notre imaginaire mais bien un bras armé des choses ténébreuses) de justesse en s'enfuyant. Comme le faisaient sans doute nos très lointains ancêtres au sein d'une forêt inhospitalière au détour de minuit. 


Donner et le scénariste David Seltzer démontrent que, peu importe l'époque, les frayeurs du fond des âges ressurgissent dès que le contexte s'y prête. En un temps record, qui plus est. Pour le moins, l'incroyable partition hantée de Jerry Goldsmith y contribue. Tout semble allié aux ténèbres et l'environnement est hostile au plus haut point. Même la grille donnerait l'impression de s'attaquer de façon consciente à l'un de nos héros. Objet inanimés, avez-vous une méchante âme ? 

Le cadre contemporain et la raison sont balayés d'un revers de la main en une seule séquence. La question qui semble surnager est celle-ci : pourquoi avons-nous tant besoin de refaire apparaître des craintes aussi lointainement enfouies ? N'y a-t-il pas pourtant de nouvelles angoisses bien plus effrayantes encore, bien plus concrètes, comme les menaces atomiques ? Il est à signaler que Holocaust 2000 (1977) de Alberto De Martino qui récupère la base de l'intrigue du film de Donner (euphémisme) joue sur les deux tableaux. Le fait est que ce fut le cinéma de science-fiction qui se chargea surtout de toutes les appréhensions technologiques (sans pour autant être interprété comme du film d'épouvante au sens strict) tandis que celui de l'épouvante aura tendance, par réaction, à contaminer par des éléments immémoriaux la modernité triomphante. En une poignée d'années, pour rester dans les archétypes de genre qui nous occupent dans cette séquence, seront utilisés : l'occulte (citons le décadent La Sentinelle des maudits en 1977), la bête prédatrice toute puissante (Jaws, en 1975 et la kyrielle de productions qu'il a inspiré comme Grizzly), la conspiration maléfique (La Pluie du Diable en 1975).


Alors, réactionnaire, le cinéma d'épouvante ? Toujours obnubilé par les figures du passé ? Fatalement, pour le pire (selon certains) et le meilleur, parce que ce qui préoccupe l'inconscient des êtres humains depuis l'âge des cavernes ne risque pas de changer de sitôt et s'y confronter de temps en temps nous apaise peut-être après coup.

Au fond, ce qui reste le plus terrifiant dans cette séquence, c'est que même demain, un lointain demain, même quand les hommes auront des capacités technologiques insoupçonnées, les peurs ancestrales seront toujours capables de les submerger en un clin d’œil. Il suffira d'une nuit, d'un cimetière et de quelques chiens noirs inamicaux.

FICHE TECHNIQUE

The Omen (1976) – Réalisation : Richard Donner – Scénario : David Seltzer – Avec : Gregory Peck, Lee Remick, David Warner, Billie Whitelaw, Harvey Stephens…

NOTE

(*) La culture pop américaine dans son ensemble est traversée depuis un moment par un courant pas très catholique, de Kenneth Anger aux Rolling Stones. Les références occultes sont innombrables.


Phillipe Chouvel & Nathan Skars